comme itinéraire spirituel.
Un itinéraire pour nous aujourd’hui.
La vie monastique, comme toute vie chrétienne est une longue route sur les pas du Christ, un pèlerinage. C’est le Pape Jean-Paul II lui-même qui a éclairé notre recherche, en réinventant la notion de pèlerinage spirituel, lorsque, ne pouvant se rendre à Ur en Chaldée, le pays d’Abraham, actuellement en Irak, il avait décidé de « s’y rendre en esprit »,... en restant à Rome. Eh bien, nous aussi, nous pouvons aller sur les pas de notre Père saint Benoît, cheminant avec lui, au rythme de ses conversions successives, tout en restant ...à Valognes, ou là où nous sommes.
Pourquoi ne pas reprendre à notre compte son itinéraire et parcourir les neuf lieux où s’est déroulée la vie de Benoît, en essayant de percer le mystère de leurs multiples significations spirituelles ?
La seule source qui permet de connaître la vie de saint Benoît, ce sont les Dialogues de saint Grégoire le Grand. Sans doute la place qui est faite au merveilleux et au miraculeux nous gêne-t-elle parfois un peu aujourd’hui ; mais si l’on passe au-delà de cette première réaction, on s’aperçoit que la route de saint Benoît est un modèle et constitue un enseignement.
Ce chemin va de Nursie, sa ville natale, à Rome, puis à Enfide, à Subiaco, à Vicovivaro, puis à nouveau dans la solitude et enfin, au Mont-Cassin. Mais les lieux concrets sont aussi des images, comme des paraboles d’un voyage spirituel : une biographie n’est pas une simple chronologie. Un pèlerinage n’est pas un simple voyage. Benoît suit un cheminement intérieur.
A vrai dire, le modèle de tout voyage devenu un itinéraire spirituel est l’Exode d’Israël : sortie d’Egypte, traversée de la Mer, longue marche au désert, jusqu’à la Terre promise. La relation de Dieu et de son peuple se précise, se creuse, pourrait-on dire, au long de ces 40 années.
Un autre modèle d’itinéraire spirituel est le voyage de Jésus lui-même, depuis la Galilée, à travers la Samarie, la Judée jusqu’à Jérusalem. Trois années de marche, d’enseignement, de rencontres avec les hommes, dans l’accomplissement de la volonté du Père. Là aussi, il y a un symbolisme qui est une pédagogie. Le Lac, le désert, la montagne. Et cette « montée à Jérusalem », ultime étape de sa vie, avant une autre « montée » : celle de l’Ascension, et une « Descente », celle de l’Esprit à la Pentecôte.
Dans les Vies des anciens moines, le désert, les grottes où ils se retirent, la montagne, ont toujours une signification et une dimension spirituelles. Le « chemin » qu’est la vie de saint Benoît ne cesse de monter. De la grotte de Subiaco au Mont-Cassin, de la terre au ciel. Ascension de l’homme vers plus haut que lui-même, vers son Dieu.
Les textes cités des Dialogues de Saint Grégoire le sont dans la traduction de la collection Témoins du Christ. Sodec.
Nous donnons pour chacune de ces étapes quelques références (Bible et Règle de saint Benoît) qui peuvent aider à la méditation de chacun.
1ère étape : NURSIE. La naissance et l’appel initial.
1ère étape
Cette petite ville italienne est le lieu de naissance (en 487) de Benoît. « Il y eut un homme, ’Béni’ de grâce et de nom, dont la vie respire le sacré. Dès le temps de son enfance, son cœur fut celui d’un Ancien...Né sur cette terre avec le pouvoir d’en user à son gré pour un temps, il méprisa comme déjà fané le monde avec sa fleur ». (Dialogues)
Toute la Bible est parcourue par cette idée que Dieu marque celui qu’il a choisi en l’appelant par son nom, ou en lui donnant un nom. Ainsi d’Abram, devenu Abraham ; ainsi, de Simon devenu Pierre. Et le Bon Pasteur est celui qui connaît les brebis, chacune par son nom. Et l’appel ultime, évoqué par le livre de l’Apocalypse, sera encore celui d’un nom nouveau. Mais cette référence au « nom » dit aussi que Dieu appelle êtres humains réels, tels qu’ils sont, avec leur caractère, leur histoire. La grâce de Dieu vient ainsi continuer, transformer ce que la nature–œuvre de la grâce créatrice elle aussi - a préparé. Il est fréquent, dans les récits hagiographiques antiques, d’affirmer que des très jeunes ont déjà qualités d’ancien. La Bible déjà donne des exemples d’enfants qui ont des vertus, une sagesse bien au-dessus de leur âge. Et Saint Benoît ne manquera pas de dire qu’il faut aussi écouter les très jeunes : la Sagesse peut parler par leur bouche.
La vie de Benoît, comme la nôtre, est d’abord un chemin de « bénédiction » où Dieu nous conduit.
Quelques textes :
Is 45,4 « Je t’ai appelé par ton nom ».
Is 62,2 « On t’appellera d’un nom nouveau ».
Jn 10,3 « Il appelle les brebis par leur nom ».
Ap. 2,17 « Sur ce caillou est écrit un nom nouveau ».
Jér. 1,4-8 « La parole du Seigneur me fut adressée en ces termes : avant même de te former au ventre maternel, je t’ai connu. Avant même que sois sorti du sein, je t’ai consacré... N’aie aucune crainte car je suis avec toi » ..
RB 3,3 (RB= Règle de Saint Benoît ). « Tous doivent être appelés, parce que souvent c’est au plus jeune que le Seigneur révèle le meilleur conseil ».
2ème étape
<« Voyant que beaucoup de ses pareils sombraient dans l’abîme des vices, il retira ce premier pas qu’il avait posé pour ainsi dire sur le seuil du monde, craignant, s’il goûtait tant soit peu à sa science, de rouler ensuite tout entier, lui aussi dans le gouffre sans fond. Dédaignant donc l’étude des lettres, quittant la demeure et les biens de son père, à Dieu seul il voulut plaire. C’est pourquoi il se mit en quête de l’habit des moines, gage de la sainte vie. Il se retira donc, savant sans lettres, ignorant conduit par la sagesse. »
La ville de Rome que quitte saint Benoît est alors lourdement menacée par la désagrégation sociale et morale et marquée par l’indifférence, la légèreté des mœurs, le libertinage. Quitter Rome. Tout itinéraire guidé par la foi en la parole de Dieu comporte cette exigence : il faut « quitter ». Trois exemples peuvent être rappelés ici : celui d’Abraham encore, le père des croyants. Il quitte son pays, sa famille, sur un appel et une promesse de Dieu.
Quelques textes :
Gn 12,1. « Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, pour le pays que je t’indiquerai ».
Deuxième exemple, celui des Apôtres appelés par Jésus : ils quittent leur métier, bateau de pêche ou bureau de publicain. Mt 4,22. « Eux, aussitôt, laissant la barque et leur père, le suivirent ».
Et troisième exemple, celui du « jeune homme riche » qui, au contraire ne peut pas se résoudre à quitter ce qu’il a et peut-être ce qu’il est. Mc 10, 21 « Une seule chose te manque : va, ce que tu as, vends-le et donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel ; puis viens, suis-moi ».
Benoît va quitter Rome et aussi renoncer à la carrière qui s’ouvrait pour lui sans doute. Il entre dans la quête de ce que Jésus avait nommé « l’unique nécessaire ».La formule avait été dite à Marthe, qui, elle non plus ne parvenait pas à quitter, comme sa sœur Marie, ce qui la préoccupait.
Et saint Paul, à son tour, explique Ph 3 : « Tous ces avantages dont j’étais pourvu, je les ai considérés comme un désavantage, à cause du Christ. Bien plus, désormais je considère tout comme désavantageux à cause de la supériorité de la connaissance du Christ Jésus mon Seigneur. A cause de lui j’ai accepté de tout perdre ».
3ème étape
Saint Grégoire poursuit : « Benoît ayant donc décidé d’abandonner les lettres et partant pour la solitude, sa nourrice qui l’aimait le suivit seule...Ils demeurèrent dans l’église Saint-Pierre »
Il ne suffit pas de tout quitter. Il faut encore vraiment partir, « sortir » de sa condition. Le peuple d’Israël sera marqué par cet événement fondateur de son histoire et de sa vocation : la « sortie d’Egypte », l’Exode. Et la longue traversée du désert. Elie, fuyant le monde, lui aussi marchera quarante jours dans le désert, et il y rencontrera le Seigneur. Jésus dira de lui-même : « Je suis sorti du Père et venu dans le monde ». Et sa vie commencera par trente années de vie cachée, et sa mission par quarante jours de désert, de solitude et de tentation. La vie monastique comporte cette plongée dans la « retraite », le retrait du monde, la solitude, le désert, et l’exemple de Benoît le montre à l’évidence.
Une certaine mise à distance, une retraite est déjà liée au baptême : tout engagement, toute profession de foi, toute affirmation, devant les autres, de ses convictions, du sens que l’on donne a sa vie, supposent qu’on signale sa « différence », sans ostracisme, ni condamnation des autres, certes, mais dans une logique qui mette en harmonie la foi et la vie. Tel est le sens de ce premier départ, dans la vie de saint Benoît. Premier pas décisif, mais qui n’est pas encore pour lui l’acceptation de toute la vie monastique. Il commence. Et faisons nous jamais autre chose que « commencer » ?
Ce renoncement n’aurait aucun sens en lui-même s’il n’était l’autre face d’un choix plus essentiel : le choix du Christ. Dans les deux sens de cette expression. Le choix fait par le Christ qui est celui de la folie de la croix. Par amour. Et le choix que nous devons faire, du Christ.
Quelques textes :
1 Cor 1, 20-25 « Dieu n’a-t-il pas frappé de folie la sagesse du monde ? Puisqu’en effet le monde, par le moyen de la sagesse, n’a pas reconnu Dieu dans la sagesse de Dieu, c’est par la folie du message qu’il a plu à Dieu de sauver les croyants. Alors que les Juifs demandent des signes et que les Grecs sont en quête de sagesse, nous proclamons, nous, un Christ crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les païens...Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes » .
Luc 10, 41-42 « Tu t’inquiètes et t’agites pour bien des choses. Une seule est nécessaire » .
1 Cor 1,26-31 « Mais ce qu’il y a de fou dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour confondre les sages ; ce qu’il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour confondre ce qui est fort ; ce qui dans le monde est sans naissance et ce que l’on méprise, voilà ce que Dieu a choisi ; ce qui n’est pas, pour réduire à rien ce qui est, afin qu’aucune chair n’aille se glorifier devant Dieu. Car c’est par Lui que vous êtes dans le Christ Jésus qui est devenu pour nous sagesse venant de Dieu, justice, sanctification, rédemption, afin que, comme il est écrit, celui qui se glorifie, qu’il se glorifie dans le Seigneur ».
RB 5, 1 « Le premier degré d’humilité est l’obéissance immédiate. Elle se trouve chez ceux-là qui n’ont rien de plus cher que le Christ »
RB 72,11 « Ne rien préférer à l’amour du Christ »
4ème étape
« Benoît avait faim de se fatiguer en travaillant pour Dieu plutôt que d’être porté par les faveurs de cette vie. Il s’enfuit secrètement, laissant là sa nourrice, et gagna une retraite dans un lieu à l’écart qu’on appelle Subiaco....irrigué d’eaux froides et très limpides. Un immense lac y recueille une grande masse d’eau, puis la libère en fleuve ». (Dialogues)
1 Rois 17, 1-6 Elie au torrent du Kerith. On peut penser que ce texte biblique a directement inspiré le récit de Grégoire. Toujours est-il que Benoît continue de s’enfoncer dans la solitude et de poursuivre son chemin de conversion. Comme Moïse, comme Elie, dans cette grotte resserrée, il va aller à la rencontre de Dieu. Subiaco : c’est le lieu du début proprement monastique de Benoît, celui d’un changement radical de vie. Et le signe va en être le nouveau vêtement qu’il reçoit d’un autre moine. La vie monastique se transmet : comme Elie avait donné son manteau à Elisée, signifiant ainsi le don de son esprit, le moine Romain donne l’habit à Benoît. Il est toujours important dans la vie, et dans la vie chrétienne, ce sens du vêtement, du nouveau vêtement, tel celui du nouveau baptisé.
« Certain moine du nom de Romain le trouva en chemin et lui demanda ce qu’il cherchait. Quand il connut son désir, non seulement il garda le secret mais il lui offrit son aide : c’est lui qui transmit à Benoît l’habit monastique ». « L’homme de Dieu choisit en cet endroit une grotte resserrée ; et pendant trois ans il y demeura, inconnu des hommes, sauf du moine Romain ». (Dialogues)
Ce n’est pas seulement un habit qu’endosse Benoît, c’est une nouvelle manière de vivre, dans laquelle, peu à peu, il se glisse. Et cette montée, cette ascension que va être sa vie, commence par une descente. Descente sous terre, à l’intérieur de la terre, dans une grotte. Peut-être aussi et surtout dans le souterrain, les profondeurs de son être. Antoine, le grand saint Antoine, le « Père des moines », lui aussi avait fait débuter sa vie monastique par un séjour dans une grotte qui servait de tombe. Pour ressusciter à une vie nouvelle, il faut d’abord descendre en soi et faire… apparaître au jour ses profondeurs, avant de faire disparaître ce qui empêche la vie. Dans les représentations anciennes, ces lieux inférieurs –« infernaux », au sens étymologique, appartiennent aux puissances démoniaques contre lesquelles il faudra combattre. Lieux de la tentation et du combat spirituel, entre le meilleur et…le moins bon de soi-même. Etre, pour ce faire, dans une grotte, n’est pas sans signification. Le lieu étroit, resserré, sans échappatoire possible dit bien qu’il faut accepter le combat, et ne pas « rompre » trop vite. La durée, la persévérance, la stabilité ne sont pas choses faciles, mais nécessaires. Et au cours de ces trois années, Benoît a certainement repris bien des fois la décision de rester là et de continuer. Lieu de combat, la grotte est aussi le lieu de la rencontre avec Dieu, de Sa présence : Moïse, Elie ont connu aussi cette expérience.
Quelques textes :
Gen 37,23-24 « Lorsque Joseph arriva près de ses frères, ils le dépouillèrent de sa tunique, la tunique ornée qu’il portait. Ils se saisirent de lui et le jetèrent dans la citerne ; c’était une citerne vide, où il n’y avait pas d’eau. »
Ex 33,21-23 (Le Seigneur dit à Moïse) « Voici une place près de moi ; tu te tiendras sur le rocher. Quand passera ma gloire, je te mettrai dans la fente du rocher et je te couvrirai de ma main jusqu’à ce que je sois passé. Puis j’écarterai ma main et tu verras mon dos ; mais ma face on ne peut la voir ».
1 Rois 19,9-12 « Là Elie entra dans la grotte et il y resta pour la nuit. Voici que la parole du Seigneur lui fut adressée, lui disant : -Que fais-tu ici, Elie ? Il répondit : -Je suis rempli d’un zèle jaloux pour le Seigneur Sabaot, parce que les Israélites ont abandonné ton Alliance, qu’ils ont abattu tes autels et tué tes prophètes par l’épée. Je suis resté moi seul et ils cherchent à m’enlever la vie. Il lui fut dit : - Sors et tiens-toi dans la montagne devant le Seigneur. Et voici que le Seigneur passa » ...
RB.58 « Quand un nouveau venu demande la vie monastique, on ne lui accordera pas une entrée facile ; mais comme dit l’Apôtre : Eprouvez les esprits pour voir s’ils sont de Dieu... Qu’on examine avec soin si le jeune frère cherche vraiment Dieu, s’il est empressé à l’œuvre de Dieu, à l’obéissance, aux humiliations. »
5ème étape
Benoît est sorti de sa grotte c’est-à-dire sorti d’une certaine retraite
« On parla de lui dans tous les environs, et il advint que depuis lors bien des gens commencèrent à le visiter. Ils lui apportaient les aliments du corps, et puisaient de ses lèvres et de son cœur la nourriture de vie » (chap 1) « La tentation vaincue, l’homme de Dieu, comme une terre que l’on a débarrassée de ses ronces et bien labourée, donna une moisson, de vertu toujours plus riche » (chap 3)
Comme saint Antoine, achevant son séjour dans un tombeau, va demeurer au désert, ainsi Benoît. Subiaco est le lieu où toutes les grandes intuitions de saint Benoît vont naître. C’est là qu’il invente sa manière propre de concevoir la vie monastique. Avant d’avoir des disciples, qu’il ne cherche d’ailleurs pas, c’est lui-même qui devient, de plus en plus, moine.
Benoît reçoit et il donne. Il laisse le temps et Dieu surtout, faire leur œuvre. Il est en train de devenir cette terre que le Seigneur lui-même travaille pour que le grain puisse porter du fruit.
Quelques textes :
Mt 13 Parabole du Semeur. Parabole du bon grain et de l’ivraie
Mc 4,26-29 « Jésus disait : Il en est du Royaume de Dieu comme d’un homme qui aurait jeté du grain en terre : qu’il dorme et qu’il se lève, nuit et jour, la semence germe et pousse, il ne sait comment. D’elle-même, la terre produit d’abord l’herbe. puis l’épi, puis plein de blé dans l’épi. Et quand le fruit s’y prête, aussitôt il y met la faucille, parce que la moisson est à point ».
6ème étape
« Non loin pourtant, il y avait un monastère dont l’Abbé mourut. Toute la communauté vint trouver le vénérable Benoît. et avec de grandes supplications les moines lui demandèrent de se mettre à leur tête... A la tête du monastère il maintint fermement la vie régulière : aucun moine n’eut plus licence, comme précédemment, de dévier du chemin de la sainte vie en s’écartant à droite ou à gauche. De rage les frères perdirent la tête... Ils cherchèrent le moyen de le faire mourir.. Que le Seigneur Tout-Puissant ait pitié de vous. mes frères, Pourquoi m’avoir fait cela ? » (Dialogues)
Cet épisode est riche d’enseignements. Benoît, qui, jusqu’à maintenant, a vécu en ermite ne « choisit » pas, à proprement parler, la vie cénobitique. Et ce n’est pas lui qui choisit des compagnons. On est venu à lui, d’abord, puis on l’a choisi. Dès lors, et ce n’est pas la dernière fois dans sa vie, il va connaître l’ingratitude et la persécution. Comme les Prophètes, comme Jean Baptiste, et surtout comme le Christ, il va vivre l’épreuve et la croix, pour avoir rappelé les exigences que lui-même a commencé par faire siennes. Comme le Christ, il va pardonner à ceux qui le persécutent, ses propres moines. Lorsque, dans sa Règle, saint Benoît rappellera les commandements essentiels qui s’adressent à tous les hommes et qui étaient redits, aux premiers temps de l’Eglise, aux futurs baptisés, il se souviendra certainement de ces situations où tels mauvais moines, tel prêtre jaloux ont voulu le tuer. Ce ne sont pas des figures de style. Plus encore, c’est le signe de ce réalisme de saint Benoît qui sait bien d’expérience que, sans la grâce, l’homme est capable de tout. Mais qu’avec la grâce. « il ne faut jamais désespérer de la miséricorde de Dieu ».
La paix entre les hommes, fussent-ils des Frères, se construit. Elle peut se défaire aussi, mais se reconstruire. Comme dit le Père Denis Huerre : « les monastères ne sont pas des lieux sans péché, mais ce sont des lieux de pardon ». L’affirmation pourrait être vraie de toute communauté chrétienne.
Quelques textes :
Is 30, 21 « Quand tu devras aller ou à droite ou à gauche, tes oreilles entendront celui qui te dira : voici le chemin ! Prends -le ! »
Luc 9,57-62 « Tandis qu’ils faisaient route, quelqu’un lui dit en chemin : -Je te suivrai où que tu ailles. Jésus luit dit : -Les renards ont des tanières et les oiseaux du ciel ont des nids ; le Fils de l’homme, lui n’a pas où reposer la tête ... Un autre encore dit : -Je te suivrai, Seigneur, mais d’abord permets-moi de prendre congé des miens. Mais Jésus lui dit : -Quiconque a mis la main à la charrue et regarde en arrière est impropre au Royaume de Dieu. »
Jn 11,53 « Dès ce jour-là, ils résolurent de le tuer ».
Jn 18,23 « Si j’ai mal parlé, témoigne de ce qui est mal ; mais si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ? »
Luc 23, 34 « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font ».
« Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons. »
RB 4, 3 Ne pas tuer
RB 4,25 Ne pas donner une paix fausse.
RB 4,29 Ne pas rendre le mal pour le mal
RB 4,32 Ne pas maudire ceux qui nous maudissent, mais plutôt les bénir
RB 4,72-73 Dans l’amour du Christ prier pour ses ennemis.
Rentrer en paix avant le coucher du soleil quand on a eu un désaccord.
7ème étape
« Alors il revint à sa chère solitude ; et seul sous le regard du suprême Témoin, il habita avec lui-même. » (chap. 3)
C’est un troisième temps vécu par saint Benoît à Subiaco. Après avoir connu la vie en communauté, la vie cénobitique, il revient à la vie érémitique. Plus tard, quand il écrira sa Règle pour les moines, il conseillera de ne tenter la vie érémitique qu’après avoir fait un long apprentissage avec des compagnons. Sans doute Benoît a-t-il appris beaucoup. La relation aux autres - toute la Bible et l’expérience de chacun le disent de toutes sortes de manières- est un lieu de découverte de soi, une école, et aussi un lieu, ainsi l’a voulu le Seigneur, de rencontre de Dieu. « Ce que vous aurez fait au plus petit des miens... Ce que vous n’aurez pas fait... c’est à moi. ».
Saint Grégoire commente longuement cette expression « habiter avec soi-même »
Il évoque la parabole de l’enfant prodigue, parti loin de chez lui, loin de son père : « s’il (le fils prodigue) avait habité avec lui-même, d’où serait-il revenu à lui ? ...Il y a deux manières dont nous pouvons être entraînés hors de nous : ou bien nous tombons plus bas que nous-mêmes par la faute de cet excès de préoccupation, ou bien nous sommes soulevés au-dessus de nous-mêmes par la grâce de la contemplation... Dans sa solitude, le vénérable Benoît habita donc avec lui-même...Il revint dans sa solitude, et sa sainteté se mit à bourgeonner, si j’ose dire, en vertus et en miracles, attirant maint compagnon.. Il construisit donc douze monastères » (chap3)
Tous ces changements de lieux et de manières de vivre de Benoît marquent des approfondissements successifs de sa vie. Il est sans doute bon de voir les saints non pas uniquement avec ce visage auréolé qui convient à un vitrail, mais dans leur itinéraire vrai, avec leurs recherches et leurs tâtonnements. Ils sont ainsi plus proches de nous, plus humains. Convertis et toujours à convertir encore.
Saint Grégoire montre aussi que Benoît ne se laisse pas troubler outre mesure par ce qui lui advient : il continue son chemin. Là encore, le modèle est le Christ.
Quelques textes :
Luc 4, 30 « Lui, passant au milieu d’eux, allait son chemin ».
Luc 5, 15-16 « La nouvelle se répandait de plus en plus à son sujet, et les foules nombreuses s’assemblaient pour l’entendre et se faire guérir de leurs maladies. Mais lui se tenait retiré dans les déserts et priait » .
Mt 6, 6 « Pour toi, quand tu pries, retire-toi dans ta chambre, ferme sur toi la porte, et prie ton Père qui est là, dans le secret ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra ».
Mt 8,34 « Ils prièrent Jésus de s’en aller de leur pays ».
Luc 9,51 « Ils se mirent en route pour un autre village ».
Mt 14,13 « Jésus se retira à l’écart ».
Luc 15, 17-24 « Rentrant alors en lui-même il se dit : Combien de mercenaires de mon père ont du pain en surabondance, et moi je suis ici à périr de faim ! Je veux partir, aller vers mon père et lui dire : Père, j’ai péché contre le Ciel et envers toi ; je ne mérite plus d’être appelé ton fils, traite-moi comme l’un de tes mercenaires. Il partit donc et s’en alla vers son père... »
RB Prol. « Poursuis la paix, recherche-la »
8ème étape
« S’il te plaît, raconte-moi maintenant vers quels lieux émigra le saint homme »... (chap 8) « Le saint homme, passant à d’autres lieux, ne changea pas d’ennemi. Il soutint même des combats d’autant plus graves qu’il trouva en face de lui le maître même du mal, attaquant à découvert. Le bourg que l’on appelle Cassin est situé au flanc d’une haute montagne...tendant sa pointe vers le ciel...L’homme de Dieu dès son arrivée brisa l’idole, renversa l’autel...Dans le temple d’Apollon il établit un oratoire en l’honneur de saint Martin, et sur l’emplacement de l’autel il en éleva un dédié à saint Jean ». (Dialogues)
Saint Benoît, le Père du monachisme occidental, la patron de l’Europe, reste l’homme du Mont Cassin. Benoît connaît tous les combats, contre lui-même et les tentations, contre des ennemis et l’Ennemi, le mal et le Malin, contre les faux dieux. Et on dirait que plus il avance, plus le combat se fait serré. Mais la foi et l’espérance sont là, car Dieu est avec lui. La « montagne » n’est pas qu’une réalité, elle est aussi un symbole. Horeb. Sinaï. Montagne des Béatitudes. Thabor. Golgotha. Montagne de l’Ascension. La Montagne est demeure de Dieu. Gravir la montagne, c’est aller vers Dieu. Et saint Grégoire décrit le Mont Cassin–modeste montagne tout de même !- comme un « sommet qui semble toucher le ciel ».Quant à lui, Benoît va toucher au terme de son pèlerinage, qui est une ascension spirituelle. C’est là qu’il va pouvoir donner pour des générations de disciples le résultat de toute sa longue expérience, et sa relecture personnelle des textes de ses prédécesseurs : la Règle des moines.
Avant de raconter la mort de saint Benoît, saint Grégoire parle de la rédaction de la Règle des moines. La Règle de saint Benoît. Comme les dernières paroles, le testament du grand homme. Ce qu’il a donné de plus beau aux hommes, et dont tant de moines, de moniales, mais aussi de laïcs chrétiens ont fait leur guide depuis 15 siècles.
Quelques textes :
Luc 4,13 « Ayant épuisé toute tentation, le diable s’éloigna de lui jusqu’au moment favorable ».
Jn 12, 31 « C’est maintenant le jugement de ce monde. Maintenant le Prince de ce monde va être jeté dehors ».
RB 73, 2 « Pour qui se hâte vers la perfection de la vie monastique, il y a les doctrines des saints Pères dont la pratique conduira l’homme aux sommets de la perfection »..
RB 73, 9 « Ces sommets de vertu et de contemplation, tu y parviendras »
9ème étape
« Benoît veillait déjà, prévenant l’heure de la prière nocturne. Debout devant sa fenêtre, il priait le Seigneur Tout-Puissant, quand soudain, à cette heure de la nuit, il vit fuser une lumière qui chassait les ténèbres et brillait d’une telle splendeur que sa clarté eût fait pâlir celle du jour...Le monde entier se ramassa devant ses yeux comme en un seul rayon de soleil ». (chap 35. Dialogues)
On dirait que la montagne elle-même ne suffit plus. Encore plus haut. Les anciens aimaient ces images des hauteurs de plus en plus élevées, comme s’ils voulaient reprendre et convertir le vieux rêve de la tour de Babel. Non plus dans la volonté orgueilleuse d’atteindre le ciel, par ses propres forces, mais dans le désir de rencontrer Dieu en s’approchant de lui. Syméon, le stylite, s’installait ainsi sur des colonnes de plus en plus élevées. La tour du monastère de saint Benoît joue ce même rôle, dans les Dialogues de saint Grégoire.
Surtout, Benoît est présenté, en cette ultime étape, comme celui qui prie sans cesse. Avec et devant ses moines. Et une autre image va être proposée. Benoît est devant une fenêtre ouverte, et c’est encore une réminiscence biblique, cette fenêtre ouverte pour la prière. Ouverture vers Jérusalem, ouverture vers la lumière, comme une aurore pascale. Une annonce de résurrection.
« Il se fit porter à l’oratoire par ses disciples, et là il reçut le Corps et le Sang du Seigneur pour en munir son départ. Puis appuyant ses membres affaiblis sur les bras de ses disciples, il se mit debout, les mains levées au ciel, et dans son dernier souffle murmurait des prières... Ce jour là deux frères ... eurent la même apparition d’une vision identique. Ils virent une voie jonchée de tapis et brillant d’innombrables feux, qui droit vers l’Orient allait de la cellule de Benoît jusqu’au ciel. Un homme d’aspect surnaturel s’y tenait, étincelant, et leur demanda quel était ce chemin. Les disciples avouèrent ne pas savoir. Alors il leur dit : c’est la voie par laquelle Benoît, précieux au Seigneur, est monté au ciel ». (Dialogues)
Ce n’est plus seulement vers le haut que se dirige Benoît, mais vers l’Orient. Nos vies chrétiennes sont « orientées », comme l’étaient nos églises, c’est-à-dire tournées vers l’Est, vers le soleil levant. Et le Christ est présenté comme le Soleil qui vient, et reviendra nous visiter.
Benoît prie, et elle est belle la dernière image de Benoît désormais soutenu par ses moines. Benoît communie. Benoît attend la mort et l’entrée dans une autre lumière.
Quelques textes :
Jn 17, 1-5 « Levant les yeux au ciel, il dit : -Père, l’heure est venue : glorifie ton Fils, afin que ton Fils te glorifie et que, selon le pouvoir que tu lui as donné sur toute chair, il donne la vie éternelle à tous ceux que tu lui as donnés. Or, la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi le seul véritable Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ.
Je t’ai glorifié sur la terre, en menant à bonne fin l’œuvre que tu m’as donné de faire. Et maintenant, Père, glorifie-moi auprès de toi de la gloire que j’avais auprès de toi, avant que le monde fût » .
Ap 21 1-3 « Je vis un ciel nouveau, une terre nouvelle- car le premier ciel et la première terre ont disparu, et de mer, il n’y en a plus. Et je vis la Cité sainte, Jérusalem nouvelle, qui descendait du ciel, de chez Dieu ; elle s’est faite belle, comme une jeune mariée parée pour son époux. J’entendis alors une voix clamer, du trône : Voici la demeure de Dieu avec les hommes. Il aura sa demeure avec eux ; ils seront son peuple, et lui, Dieu. avec-eux, sera leur Dieu ».
Ap 22 17-21 « L’Esprit et l’Epouse disent : Viens ! Que celui qui entend dise : Viens ! Et que l’homme assoiffé s’approche, que l’homme de désir reçoive l’eau de la vie, gratuitement.... Oui, mon retour est proche. -Amen, viens, Seigneur Jésus ».